Marée noire, cataclysmes, boycott total et voeux pour le millénium à J-2

Chers Amis,

Nous voici à la veille du nouveau millénaire tant attendu ces derniers mois par les médias et leurs faiseurs de festivités. En guise de bienvenue, déjà, cet avènement a été salué par des inondations meurtrières au Vénézuela, une tempête cataclysmique en Europe et par une marée noire sur les côtes de l'Atlantique. De cette dernière on ne sait toujours pas quelle sera l'étendue véritable. Peut-être que le pire reste encore à venir.

Les catastophe naturelles devraient inciter l'homme à réfléchir à sa place dans le monde. Par exemple lui poser cette interrogation : "qui sommes-nous pour croire que l'an 2000, repère historique créé par le calendrier chrétien nous fera entrer dans un cycle vraiment nouveau ? Que dire alors des calendriers chinois et juif, bien plus anciens ? L'Occident opulent et puissant ne cesse d'imposer ses normes culturelles au reste de l'humanité.
Quant à ces castratophes dites naturelles, qu'est-ce qui nous fait croire que l'homme n'y a pas aussi sa part de responsabilité ? Voilà des décennies que l'on évoque les conséquences des gaz à effet de serre sur l'atmosphère et le réchauffement de la planète. Les rudes hivers ne sont plus qu'un souvenir. Il neige de moins en moins, il pleut de plus en plus. Il faut bien reconnaître que la terre est de plus en plus malmenée par l'industrie, les fumées de ses usines et leurs déjections chimiques. Quant à la faune et à la flore de notre planète, elle est de plus en plus appauvrie par des industriels d'un autre genre, non moins voraces et dangereux, ceux qui prélèvent sans vergogne sur la nature pour revendre sur tous les marchés du monde les fruits de la terre, arrachés sans ménagement, poussés par une soif inextinguible de gain.
Et la conjonction de ces deux fléaux humains prend une dimension nouvelle et terrifiante quand un industriel du pétrole perd sa cargaison en mer et meurtrit profondément la nature. Quand il souille scandaleusement les deux continents, la mer et la terre.

Autre interrogation : au terme d'une vingtaine de siècles de l'histoire chrétienne l'esprit de l'homme s'est-il suffisamment élevé pour aimer vraiment son prochain ? Il se trouve que l'ère des César n'est toujours pas révolu. Les marchands du temple portent aujourd'hui des cols blancs et sont installés dans les bureaux de Wall Street d'où ils continuent à opprimer le monde. Et qu'est ce pétrolier Erika qui déverse dans l'Atlantique ses "bouses" de fioul noir, épais, gras et puant, sinon la manifestation du mépris de l'homme pour son prochain, le cadeau haineux des multinationales à une humanité qu'ils corrompent tous les jours.
C'est le symbole tangible de la tyrannie des riches exercée sur les pauvres. Par l'exploitation de marins indiens sous-payés, par le mépris de la sécurité des hommes, par l'absence de respect pour la nature, par le soutien aux dictatures pétrolières pour pouvoir extraire en toute liberté les ressources de leurs sols. Economie outrancière, rentabilité extrême, mépris des individus, telles sont les règles du nouvel ordre mondial qui se profile à l'horizon de l'an 2000. Auxquelles il convient d'ajouter le mépris pour la terre, cette minuscule planète perdue dans l'univers et à laquelle nous devons la vie. Ce qui caractérise, par dessus tout, les multinationales, c'est leur immoralité.
Mais la "mondialisation" a aussi ses avantages. L'échec récent de la conférence de Seattle en est la preuve. L'Organisation Mondiale du Commerce a connu un sérieux revers au bénéfice de petits groupes refusant le nouvel ordre économique que l'on cherche à imposer aux populations. La technologie - internet bien-sûr - permet aux individus de communiquer très vite, de se mobiliser à grande échelle et en peu de temps. Face à la toute puissance des pétroliers et autres cartels c'est la mobilisation des citoyens du monde, ceux du village planétaire. Et beaucoup pensent que les opérations de grande envergure conduites par les nouveaux despotes du monde seront contrées par des multitudes de petites actions engagées par des individus isolés répartis dans tous les coins de la planète.

Je pense donc, comme beaucoup d'entre vous, qu'il faut saluer le nouveau millénaire par un boycott généralisé de TotalFina. C'est la juste réponse à leur agression économique et morale contre l'humanité et la nature.
Déjà on avance, par-ci par-là, toute sorte d'arguments pour nous dissuader d'entreprendre cette mise en quarantaine : "ce sont les pauvres pompistes qui paieront" par exemple. Il est vrai que ces derniers seront touchés par le boycott. Il serait donc judicieux que TotalFina les indemnise aussi parce qu'ils comptent, eux aussi, au nombre de ses victimes.
Le bilan est clair : les plaisanciers de la côte, les marins pêcheurs, les ostréiculteurs, les hôteliers, les habitants de la côte, les oiseaux et les poissons, c'est toute la vie marine et terrestre du littoral atlantique qui est victime de l'agression de TotalFina. Ce désastre, TotalFina ne pourra jamais le réparer. Voici les propres mots du ministre de l'Environnement Dominique Voynet : "Monsieur Fina ne pourra jamais ramener à la vie les milliers d'oiseaux morts. C'est un capital perdu" (Libération du 27.12.99).
TotalFina doit payer, certainement, mais il ne pourra jamais rembourser, malgré ses promesses distribuées à tour de bras, toute cette vie assassinée par son pétrole. Et c'est pourquoi ceux qui, comme vous et moi, sont du côté de la vie, doivent combattre de tels assassins. Il s'agit ni plus ni moins que de survie. Des entreprises telles que TotalFina, champion du CAC 40 à la Bourse de Paris - 100 millions de bénéfice - et quatrième pétrolier du monde, laissent derrière eux la mort et la désespérance. Et si nous n'y prenons garde elles nous feront crever aussi. C'est pourquoi le boycott s'impose. Avec les armes qui sont les nôtres. Il faut frapper au porte-monnaie.

Mais j'ai aussi envie, à l'occasion de ces bouleversements, de vous faire participer à une autre réflexion. Je dois avouer que l'approche du "nouveau millénaire" ne m'a jamais vraiment enthousiasmé. On est bien forcé de constater qu'à la veille de l'an 2000 pas un seul de nos dirigeants politiques, de nos intellectuels ou de nos artistes n'a été capable de mettre en avant une idéal qui élève le citoyen français au-dessus de sa simple condition de consommateur voué à pousser son caddie entre les étalages de bouffe, de voyages exotiques, de bijoux ou de beaux livres à offrir. On a réduit l'homme, qui détient en lui une parcelle de divin, tout au mieux à un jouisseur éclairé, à une carte de crédit Premier ou à un causeur affable.
Ce qui est le propre de notre siècle finissant c'est la tiédeur des individus, l'absence de philosophies véritables autres que celles préfabriquées par les sociologues de service, les rappeurs de banlieue - révolutionnaires de cage d'escalier - ou les artistes de pacotille chantant en chœur sur le petit écran les mots d'ordre douceureux d'une utopie facile et bon marché. Comme modèle culturel on nous a proposé le dernier dessin animé, pièce montée guimauve sortie droit des chaînes made in USA de l'usine à fric Disney, ou encore Notre-Dame-de-Paris mis en scène et en musique sur le mode hip-hop - USA toujours -, une escroquerie à la création qui n'a gardé du roman d'origine que le nom. La mondialisation et le "culturellement correct" sont bien installés dans une France qui se dit si fière de son "exception".
On dirait enfin qu'il y a peu de chose à fêter de ce nouveau millénaire. Sinon l'anniversaire d'un homme parmi les hommes qui a tenté, il y a vingt siècles, de répandre autour de lui un message d'amour. Mais ceci reste chaque jour d'actualité.
Pourtant, je ne crois pas à la fatalité. Je crois aux vertus de l'action et à la contagion de la foi quand elle est enracinée. Je pense que s'il est un emblème à mettre en avant pour les années à venir, c'est celui du nouveau visage des luttes à mener. Luttes contre l'abêtissement généralisé et l'appauvrissement de l'homme, que l'on coupe de ses racines autant culturelles qu'économiques, au profit de la culture simpliste du business mondial et de l'idéologie prêt-à-porter que ce dernier cherche, par tous les moyens, à nous imposer. Que les catastrophes naturelles qui s'abattent actuellement sur l'Europe soient donc, aussi, l'annonce d'une nouvelle vitalité pour les habitants de nos pays industriels. Que leur réveil soit aussi spectaculaire que ces cataclysmes. Voici un message fort et une bonne raison pour entrer de plain pied dans le nouveau millénaire.
Certains philosophes chinois voyaient la vie en plein et en creux, deux termes inséparables de leur logique de l'univers. Le haut se justifant par le bas, le bien par le mal, le savoir par l'ignorance. Si l'on veut bien prêter foi à cette croyance, à la période de "dépression" actuelle devrait donc succéder celle d'un essor considérable de l'humanité.

Je vous souhaite donc à tous un riche début de millénium fait de combats enthousiastes contre ceux qui s'acharnent à éteindre l'étincelle en l'homme.

Reza Afchar Nadéri Paris, le 29 décembre 1999